Mon rapport avec la maison Louis Carré, avec l’architecture d’Alvar Aalto

A quel moment ai-je entendu parler pour la première fois de la maison Louis Carré ? Je ne peux le dire. Passionné d’architecture depuis l’adolescence, je me souviens que l’image de cette maison me fut très tôt familière.

Etudiant en architecture, il y a des décennies, j’ai plongé avec délectation dans l’œuvre d’Alvar Aalto qui, à l’époque, était devenu pour nous une référence et même un modèle. La maison Louis Carré, la seule réalisation de l’architecte en France, était déjà considérée comme l’un de ses chefs d’œuvre. Toutefois, peu de gens avaient eu la possibilité d’y pénétrer. Car, il ne faut pas l’oublier, la maison Louis Carré est restée très longtemps une demeure privée. Néanmoins, je me rappelle qu’un simple plan en coupe permettait déjà de prendre la mesure de ce qui est, pour moi, l’élément le plus remarquable de cette maison : je veux parler de son majestueux faux-plafond en bois suspendu au-dessus du hall d’entrée ; j’avoue que ce prodige d’élégance et de finesse a toujours été pour moi un objet de fascination.

Toutefois, mon intérêt pour Aalto ne se limite pas à cette maison. En fait, j’ai développé depuis longtemps une réelle passion pour ce grand créateur de formes dites « organiques » inspiré, dit-on, par la nature de son pays, ainsi que pour les inventions plastiques, aussi belles que fonctionnelles, qu’il a produit tout au long de sa carrière d’architecte ou de designer.

Une passion qui m’a conduit à effectuer trois voyages en Finlande afin de visiter et de photographier quelques-uns de ses bâtiments les plus remarquables ; j’y retrouvais, à chaque fois, le même doigté : une vision créatrice globale, un souci rare du détail et de la finition ; le recours à une grande variété de matériaux, dont le bois, son matériau de prédilection, qui donne à ses intérieurs une note à la fois raffinée et chaleureuse ; le contrôle de la lumière et, surtout, une grande maîtrise dans l’organisation des espaces et des circulations ; dans nombre de ses bâtiments, l’accent est mis sur la fluidité de l’espace intérieur et l’on passe ainsi d’un espace clos, dédié à une fonction particulière, à un grand espace ouvert conçu pour des usages polyvalents… Autant dire que la maison Louis Carré ne déroge guère à tous ces principes.

Que veut exprimer ce « Regard » et dans quel contexte ces photos ont-elles été prises ?

Je me suis rendu deux fois dans cette maison (en 2019 et en 2020) ; les photos présentées dans le cadre de mon « Regard » ont été prises pendant les heures d’ouverture habituelles au public.

J’ai dû faire une sélection restreinte parmi toutes les photos prises à cette occasion, ce qui m’a conduit à privilégier l’intérieur de la maison plutôt que son architecture extérieure. En procédant ainsi, j’ai souhaité exprimer notamment ce sens de la fluidité de l’espace que j’ai si souvent apprécié dans les bâtiments d’Alvar Aalto. Le faux-plafond qui retient l’attention de tous les visiteurs figure aussi en bonne place parmi ces images : j’ai voulu souligner l’effet produit par l’articulation de cette forme courbe avec la baie placée latéralement au-dessus de l’entrée qu’Aalto a dessiné avec des parallélogrammes. Cet ensemble concourt à moduler la lumière intérieure et, à travers elle, à matérialiser le grand espace central qui distribue les pièces de la maison. 

Quelques vues rapprochées, en particulier sur la décoration intérieure ou sur le mobilier, visent à rappeler qu’Aalto était aussi un designer et que la première caractéristique de la maison Louis Carré est d’avoir été imaginée comme une œuvre d’art totale où chaque détail, de la poignée de porte jusqu’à la forme des luminaires, porte la marque de sa vision créatrice.

Enfin, je conclurais sur un dernier point. Comme on le sait, l’esthétique japonaise a exercé une forte influence sur Aalto. Par bien des aspects, la maison Louis Carré en est le témoin, tant sa conception me semble refléter un dualisme proche de cette culture et de cette sensibilité. Alors, la maison Louis Carré est-elle plus japonaise encore que la célèbre villa Mairea ? Probablement oui, si l’on considère à quel point l’esprit de cette maison se révèle à travers des oppositions savamment orchestrées : jeux de couleurs ou de revêtements, chauds ou froids ; contrastes d’ombres et lumières ; assemblages de lignes, tantôt courbes, pour suggérer le mouvement, tantôt droites, pour inspirer le repos ; transparences et opacités, dialectique du plein et du vide, dialogue entre le dedans et le dehors…

Dans ce contexte, comment s’étonner que la première personne à s’inscrire pour la visite de la maison se soit avérée être… japonaise !